Grimoires en tous genres

Cela faisait quelques temps déjà qu'Emily avait pensé au fait qu'elle devait éventuellement se rendre à la librairie pour y acheter les dernières nouveautés, et ce afin de remplir un peu les étagères de la bibliothèque. En faisant du tri, elle s'était en effet débarrassé des livres les plus abîmés, devenus illisibles avec le temps, et ce grand ménage de printemps fait avec un peu d'avance avait rendu certaines étagères passablement vides. Aller à la librairie lui permettrait également d'aller chercher l'exemplaire du bouquin qu'elle avait commandé lors de sa dernière venue chez Fleury & Bott et qui avait mis bien du temps avant d'arriver. La veille seulement, elle avait reçu une lettre l'informant que sa commande avait finalement été livrée.

C'est donc vêtue d'une épaisse robe d'hiver au tissu bleu clair et d'une cape bleue nuit qu'Emily fit son entrée dans la célèbre librairie. Retirant sa capuche, elle dévoila sa longue chevelure rousse et bouclée qui tomba en cascade dans son dos. Gardant sa cape sur ses épaules, elle s'arrêta un instant sur le pas de la porte pour laisser ses yeux s'habituer à la luminosité des lieux. Peu de gens étaient dans la boutique, car cette dernière était l'une des rares sur le Chemin de Traverse à ouvrir ses portes le dimanche ; les gens ne faisaient donc pas leurs emplettes ce jour-là.

Voyant que personne ne se trouvait derrière le comptoir, Emily questionna un homme qui se trouvait au rayon scolaire pour savoir où était parti le libraire. Le sorcier l'informa en souriant que le libraire avait cédé sa place à une sorcière et que cette dernière se trouvait non loin de là, au rayon des grimoires en tous genres. La rousse remercia son informateur et tourna les talons, allant dans la direction qui lui avait été donnée. S'approchant de la seule sorcière qui se trouvait là tout en sortant de la poche intérieure de sa cape un parchemin enroulé, Emily s'adressa à elle de sa douce voix, chuchotant presque comme si elle ne voulait pas déranger les bouquins qui sommeillaient sur les étagères :

"Bonjour mademoiselle... Etes-vous la libraire ? Je viens pour retirer une commande qui est arrivée il y a quatre jours..." expliqua-t-elle en tendant le parchemin sur lequel les informations concernant la commande en question étaient inscrites.

Après avoir récupéré son parchemin, Emily vit la libraire disparaître, quittant le rayon où elle se retrouva toute seule. Elle allait sans aucun doute chercher sa commande. La femme lui ayant expressément demandé de rester où elle était, la demoiselle ne bougea pas, ne suivant pas la sorcière. En attendant son retour, elle se contenta de balayer de son regard clair les nombreux ouvrages qui l'entouraient. Il y avait plusieurs exemplaires de chaque livre, comme cela était parfois le cas dans la bibliothèque de Poudlard, quoique le nombre de bouquins identiques y était moins important. S'apprêtant à tendre la main pour retirer du rayonnage un grimoire dont le titre l'intriguait, Emily arrêta son geste en entendant la libraire revenir. Rapportant son attention sur la brune, la rousse prit la parole :

"Oh merci beaucoup !" En entendant la question posée par la bibliothécaire, la rousse sentit ses joues devenir légèrement rosées. Serrant l'ouvrage contre sa poitrine, elle lâcha un simple : "Hum..."

Après avoir rapidement jeté un coup d'oeil par dessus son épaule pour s'assurer qu'elles étaient toujours seules dans le rayon, Emily entreprit d'ouvrir le papier kraft dans lequel le bouquin était emballé. Un simple ruban aurait pu donner au paquet un aspect de cadeau. Retirant le papier, elle montra à la libraire de quel livre il s'agissait. La couverture du grimoire était faite de cuir beige et, sur la tranche du bouquin, le titre "Créatures Magiques" était écrit en lettres majuscules noires. Le logo de la maison d'édition, peu connue, représentait deux oiseaux noirs aux ailes déployés et ayant plus de pattes que nécessaire. Remballant rapidement le livre dans  le papier kraft après s'être assurée que la libraire en avait lu le titre, Emily expliqua :

"Il ne s'agit pas d'un bouquin que cette librairie propose en temps normal, mais après avoir négocié avec l'ancien gérant, il a accepté de chercher ce livre pour moi et de le commander... La rareté de ce bouquin est la raison pour laquelle il a mis bien du temps à arriver."

L'ouvrage contenait des informations concernant les créatures issues de la magie noire. La bibliothécaire savait qu'elle aurait pu facilement se procurer cette oeuvre en se rendant dans l'Allée des Embrumes, mais elle évitait autant que possible de se rendre dans cet endroit infâme. Replaçant avec grand soin le morceau de scotch qui permettait de fermer le paquet, elle rapporta son attention sur la sorcière qui lui faisait face. Refusant que quiconque, même une personne qui lui était étrangère, puisse se faire une mauvaise image d'elle, Emily se sentit obligée de donner de plus amples explications concernant le fait qu'elle ait cherché à se procurer pareil ouvrage.

"Je ne l'ai pas acheté pour moi, mais pour remplacer l'exemplaire qui se trouvait dans la réserve de l'école de sorcellerie dans laquelle je travaille... Pour une raison que j'ignore, le livre a disparu de la circulation ! Il était inscrit dans les registres, mais ne se trouvait nulle part dans la réserve... J'imagine qu'il a été volé avant mon entrée en fonction. Je trouve pareil comportement fort irrespectueux de la part du voleur ! Et l'ancienne bibliothécaire aurait dû être plus attentive !" Après une courte pause, elle s'excusa : "Pardonnez-moi, ce n'est pas dans mes habitudes de m'emporter de la sorte, mais... Je déteste l'injustice."

Emily fut légèrement déstabilisée par le regard de Misery. Comme elle s'en doutait, celle-ci semblait être en train de la juger et tentait très certainement de la percer à jour. La rousse ne lui en voulait pas ; elle aurait sans aucun doute réagit pareillement si les rôles avaient été inversés. Lorsque la brune commença à la jauger de son regard, la bibliothécaire eut la désagréable impression d'être passée sous un rayon X, mais elle ne montra rien de son malaise, se contentant de rester immobile. Sachant qu'elle-même détaillait également de son regard les gens qui se trouvaient face à elle, Emily ne pouvait, une fois de plus, pas en vouloir à la sorcière pour ce comportement. En entendant la question de son interlocutrice, la demoiselle ouvrit de grands yeux surpris avant de répondre en souriant avec sincérité :

"Oui c'est bien ça ! Et... Plus qu'aimer les livres, je les respecte."

Emily ne connaissait que trop de gens qui disaient aimer les livres, mais qui, au final, n'en prenait pas grand soin. Ces gens-là n'aimaient au final pas les bouquins en tant qu'objets, mais en tant que sources d'informations ; ce qu'ils appréciaient réellement, c'était ce que contenaient les ouvrages, plus que les ouvrages eux-mêmes. La rousse espérait que la libraire comprendrait où elle voulait en venir. Dans le cas contraire, cependant, cela n'aurait pas été d'une grande gravité qu'elle n'ait pas saisi ses propos, ceux-ci étant peu détaillés. Désirant savoir si la sorcière aux cheveux bruns faisait partie de ceux qui aimaient les livres et non pas de ceux qui les respectent, elle lui retourna la question en souriant, une lueur de curiosité brillant au fond de ses yeux clairs :

"Et vous, aimez-vous les livres, Mademoiselle... Hum... Je suis navrée, j'ignore votre nom..."

En interceptant le regard que lui lança la libraire, Emily sut que ce qu'elle venait de dire avait été parfaitement compris par son interlocutrice. Acceptant avec joie l'invitation silencieuse qui lui avait été faite, elle prit place sur la seconde chaise du coin lecture. Elle déposa le livre emballé de papier kraft sur ses genoux et écouta avec une attention toute particulière ce que lui racontait la brune. Elle buvait ses paroles, hochant de temps à autres la tête pour montrer qu'elle était parfaitement d'accord avec ce qu'elle entendait.

Un chaton passant par là fut attrapé par Miss Clairborne. Elle déposa l'animal sur ses genoux et commença à le caresser. Emily n'avait pas d'affection particulière avec les félins, contrairement à la connexion étrange qui la liait aux volatiles. Cela se comprenait assez facilement lorsqu'on savait que, d'une certaine manière, elle était en partie oiseau. La chaton la fixait en plissant légèrement ses yeux et en aplatissant ses oreilles sur les côtés, montrant ainsi son agacement face à sa présence. Ignorant royalement le félin, Emily répondit à ce qui lui avait été dit :

"Ce que vous venez de dire est, à mes yeux du moins, parfaitement vrai ! C'est rassurant de voir, pour une fois, une libraire qui respecte les livres... Votre prédécesseur était plutôt de ceux qui deviennent libraire simplement pour avoir un travail et des Gallions, du moins, telle était mon impression le concernant."

Tout ce que disait Emily n'était que pure vérité. Peut-être pas sa vérité uniquement, mais ça, c'est une autre histoire. Le félin, lui, fixait toujours la rapace sous sa forme humaine. S'il continuait ainsi, il y avait de forte chance que, d'agacement, la rousse finisse par le fixer à son tour de son regard perçant jusqu'à ce qu'il capitule. Cependant, elle parvenait encore à se retenir d'engager pareille bataille silencieuse avec le matou. Se concentrant plutôt sur la brune, elle demanda :

"Mais dites-moi, Miss Clairborne ; que faisiez-vous avant d'être libraire ici ? Travailliez-vous dans une autre librairie ?"

Curieuse de nature, Emily ne pouvait pas s'empêcher de questionner les gens qu'elle rencontrait sur des points qui, parfois, étaient jugés trop personnels. Plus d'une fois, elle avait effrayé des gens en leur posant des questions qui étaient, pour elle du moins, parfaitement banales. Selon sur qui elle tombait, la personne se renfermait sur elle-même et coupait court à la discussion. Appréciant la compagnie de Miss Clairborne, même si celle-ci était accompagnée d'un félin, Emily espérait ne pas la mettre mal à l'aise avec cette simple question.

Le chaton qui semblait réellement être dérangé par la rousse sauta sur le sol puis feula à son encontre avant de déguerpir. Emily parvint à ignorer le spectacle. N'ayant aucune affinité avec les félins, elle n'était pas le moins du monde affectée par le fait que cet être vivant-là puisse la fuir et la haïr. Etrangement, si un être humain ou un animal autre qu'un félin agissait de la sorte, il y avait de fortes chances pour qu'elle soit attristée par ce comportement. Que voulez-vous : le fait qu'elle soit en partie oiseau la rendait insensible au bien-être ou au mal-être des chats. La maîtresse du matou, elle, semblait ne pas avoir compris ce qui avait fait réagir son animal, ce qui rassura Emily. D'ailleurs, elle répondit à la question que la bibliothécaire lui avait posée après un instant d'hésitation.

La rousse avait cette étrange impression d'être mal à l'aise, comme si elle ne voulait pas découvrir quelque chose concernant son interlocutrice. Ce sentiment, qui n'était bien évidemment pas le sien, ne fut que d'autant plus fort après que Miss Clairborne ait pris la parole. Emily n'avait pourtant rien entendu qui, à ses yeux du moins, pouvait expliquer pareille gêne. Peut-être que la sorcière s'attendait à des moqueries simplement parce qu'elle avait affirmé qu'il était bon, parfois, de vivre sans magie. En y réfléchissant, il était finalement possible que la sorcière ne soit pas en harmonie avec le monde magique. Après tout, elle ne semblait pas avoir sa baguette sur elle et, lorsqu'Emily avait demandé de récupérer sa commande, elle était partie la chercher à pieds, alors qu'un simple sortilège aurait pu faire venir le bouquin à elle sans le moindre effort.

"Je n'ai jamais eu l'occasion, de mémoire du moins, de vivre loin de la magie, mais je ne doute pas que cette expérience doit être très intéressante et peut-être même ressourçante ! Certains sorciers se reposent bien trop sur la magie, au point de ne plus savoir rien faire par eux-même !"

En disant cela, Emily pensait notamment à la cuisine. Combien de sorciers et sorcières n'avaient jamais mis littéralement la main à la pâte, se contentant de lancer un sortilège pour pétrir par exemple une pâte à pain ? Certes, il lui arrivait également d'avoir recours à la magie lorsqu'elle s'adonnait à la cuisine, mais jamais pour plus de chose que faire venir à elle des ingrédients ou déplacer des choses. Faire la vaisselle était également une tâche qu'elle préférait régler d'un coup de baguette, mais il n'y avait pas plus grande satisfaction que celle de se retrouver face à un plat dont les ingrédients avaient été pesés avec soin et mélangés avec amour. Sortant de ses songes, elle se rappela qu'elle n'était pas venue uniquement pour récupérer sa commande, mais également pour acheter certains exemplaires de bouquins dont elle avait dû se débarrasser pour cause de mauvais état.

"Maintenant que j'y pense, oserais-je vous demander de m'aider à trouver les nombreux bouquins qu'il me faut acheter pour la bibliothèque de Poudlard ?" demanda-t-elle tout en sortant de sa cape un parchemin enroulé sur lequel les titres des livres dont elle avait besoin étaient inscrits. "Et peut-être me donner des conseils sur les livres nouvellement parus qui pourraient avoir leur place sur les étagères de la bibliothèque ?"

La libraire s’empara de la liste que lui tendait Emily, prenant le temps de la lire avant de se lever. La rousse était ravie que l’aide qu’elle avait demandée lui soit apportée ; elle aurait sans aucun doute mis bien du temps à trouver les oeuvres qu’elle cherchait, ne connaissant absolument pas les habitudes de classement de la sorcière aux cheveux sombres. Autant pouvait-elle indiquer avec plus ou moins de précision où étaient rangés les livres se trouvant dans la bibliothèque de Poudlard, autant était-elle rapidement déboussolée lorsqu’elle pénétrait dans une autre bibliothèque ou une librairie. Le fait que les ouvrages n’y soient pas toujours classés comme elle l’aurait fait elle la perturbait relativement vite.

La demoiselle patienta donc, regardant la maîtresse des lieux faire des allers-retours vers elle, ramenant toujours un ou deux bouquins dans ses bras. De temps à autres, elle s’arrêtait un instant pour vérifier sur la liste déroulée sur la table quels étaient les livres qui manquaient encore à l’appel, puis elle disparaissait à nouveau du champ de vision d’Emily. Lorsqu’une pile composée d’une dizaine d’oeuvres s’élevait devant la bibliothécaire, Miss Clairborne se réinstalla sur sa chaise. Elle avait été rapide et efficace, apportant à sa cliente la totalité des bouquins dont celle-ci avait besoin. Semblant être en pleine réflexion -très certainement pour trouver des livres nouvellement parus qui pourraient être utile à poudlard- la brune s’exclama : 



« J'ai bien quelques ouvrages qui sont rentrés récemment, mais ils seront surtout utiles aux premières années. »

Se réjouissant de découvrir quel genre de bouquin la sorcière allait lui présenter, Emily exprima  en souriant son envie de les voir, puis elle regarda Miss Clairborne se relever pour aller les chercher. Lorsqu’elle revint, elle déposa devant la bibliothécaire trois oeuvres épaisses que celle-ci observa un instant, lisant les trois titres avant de prendre le premier avec précaution. Se permettant de l’ouvrir, elle en feuilletait quelques pages quand la libraire lui proposa de les lui prêter. N’ayant jamais entendu proposition aussi gentille et inattendue, Emily détacha ses yeux des images explicatives pour les poser sur la brune. Un immense sourire étirant ses lèvres, elle ne put que s’enthousiasmer. Elle répondit donc, les yeux brillant de gratitude :

« Ce serait avec grand plaisir ! Je vous remercie pour votre aide et votre gentillesse ! Je pense avoir déjà assez de bouquins à emmener avec moi, mais ne doutez pas que je reviendrai très rapidement pour découvrir d’autres nouveautés... Le mois prochain, peut-être, si le temps me le permet. »

Sur ce, elle se leva et ouvrit sa sacoche qui était, à vue d’oeil, bien trop petite pour contenir tous les livres. Prenant des petites pile de trois livres maximum, elle les rangea avec précaution dans son sac, les faisant entrer avec facilité, comme si l’objet était sans fond. Il avait en effet été soumis à un sortilège d’extension indétectable. Une fois tous les livres rangés dans son sac, elle sortit de la poche de sa cape une bourse remplie de Gallions, de Mornilles et de Noises. Il s’agissait d’une partie de l’argent que le Directeur mettait à sa disposition pour l’acquisition de nouveaux livres. Observant la liste qui était toujours ouverte sur la table, elle demanda à Miss Clairborne de sa voix chantonnante :

« Et combien je vous dois pour ces merveilles ? Enfin.. Je... C’est bien vite dit, étant donné qu’il ne s’agit pas de mon argent, mais de celui de l’école ! » ajouta-t-elle dans un petit rire enjoué.