Bureau

Respirant lentement, Emily, installée à son bureau, observait la vue qui s’offrait à elle. Elle avait retourné son fauteuil de velours bleue, qui faisait penser à un trône, afin de pouvoir faire face à la fenêtre. Elle regrettait amèrement que ses appartements ne se trouvent pas dans un des étages les plus élevés du château, car les oiseaux se faisaient rares à cette hauteur-là, et il s’agissait des animaux qu’elle prenait le plus de plaisir à observer. La jeune femme portait une longue robe d’un bleu foncé presque violet drapée de mousseline et dont le bustier était recouvert de dentelle. Ses cheveux lisses, quant à eux, encadraient son visage tel deux cascades rousses. Elle attendait qu’Amy Marshall, l’élève de Serdaigle qu’elle devait rencontrer, arrive. Si elle était à l’heure, elle n’allait pas tarder à frapper à la porte...

Et cela ne manqua pas : des coups distincts se firent entendre contre le panneau de bois. Attrapant sa baguette qui était posée sur son bureau, Emily se leva, contourna le meuble clair et replaça d’un sortilège informulé son fauteuil à dossier haut avant de faire un élégant geste de sa baguette en direction de la porte. Cette dernière tourna sur ses gonds. Avançant jusqu’à la hauteur du tapis rond, la rousse vit Amy apparaître dans l’encadrement de la porte. Son déplacement avait été accompagné du bruit provoqué par ses talons rencontrant le sol de pierre à chacun de ses pas. Elle portait des escarpins, bien qu'ils ne soient pas visibles à cause de la longueur de sa robe. L’élève de Serdaigle devait traverser le petit salon qui lui faisait désormais face, descendre les quelques marches de marbre pour ainsi rejoindre Emily. D’un sourire et de sa douce voix, cette dernière l’accueillit chaleureusement :

« Bonjour Miss Marshall ! Si vous voulez bien vous donner la peine de me rejoindre... Vous pouvez prendre place sur l’une de ces deux chaises ! » annonça-t-elle tout en désignant lesdites chaises du bout de sa baguette. Se détournant, elle alla s’installer sur son fauteuil qui faisait désormais face au bureau. Dès qu’Amy fit son entrée dans la pièce, la porte de bois se referma. Emily  déposa sa baguette sur le bureau et attendit patiemment que l’élève vienne s’installer face à elle. Ses mains posées à plat devant elle, elle croisa ses doigts avant de prendre la parole : « Tout d’abord... Pouvez-vous s'il vous plaît me dire si vous avez une idée de la raison pour laquelle je vous ai convoquée aujourd’hui... ? »

Emily put ressentir le stress immense de l'élève. Encore un peu, et ses propres mains se seraient mises à trembler ! C'était à croire que sa vie dépendait de la suite de l'entretien qui se déroulait en ce moment-même. La rousse ne prit cependant pas immédiatement la parole pour tenter de rassurer la demoiselle par des mots : elle la laissa avant tout répondre à sa question. Comme la bibliothécaire s'y attendait, Amy avoua qu'elle pensait qu'il s'agissait d'un problème en lien avec un emprunt qu'elle avait fait à la bibliothèque. S'apprêtant à lui dire qu'il ne s'agissait pas de cela, Emily ne put que refermer sa bouche qu'elle venait d'ouvrir car, déjà, la Serdaigle reprenait la parole.

"Je ne vous cache pas que notre rendez-vous m'a inquiétée toute la journée, je n'ai pour ainsi dire jamais enfreint le règlement, on me surnomme même "Miss Parfaite", même si j'aime pas ça. Du coup je sais pas trop comment je dois me comporter ni qu'elles sont les raisons possibles d'une convocation."

Emily avait eu envie de lui dire qu'elle devait, avant toute chose, respirer. Elle avait en effet eu cette étrange impression que l'élève était tellement stressée qu'elle en était venue à oublier comment fonctionnaient ses poumons. La petite blonde s'en était de toute évidence rendue compte par elle-même, car elle prit une profonde inspiration après son monologue à couper le souffle. Emily lui fit un sourire réconfortant. Après tout, elle n'allait pas lui retirer des points ou la sanctionner pour le simple fait qu'elle avait peut-être goûté au plaisir de la chair. Ne voulant pas laisser la demoiselle plus longtemps dans le flou, la bibliothécaire répliqua presque immédiatement :

"Ne vous en faites pas Miss Parf... Heu... Je veux dire : Miss Marshall !" se corrigea-t-elle après avoir laissé un rire chantonnant sortir de ses lèvres. Elle souriait face à sa propre erreur. Le stresse communicatif de la Serdaigle avait fini par tétaniser Emily. Un immense sourire inscrit sur son visage, elle s'excusa : "Toutes mes excuses... Votre terreur m'a envahie ! Ce que je voulais dire, c'est que vous n'avez pas à vous inquiéter : vous n'allez pas avoir une retenue quelconque, et aucun point ne sera retiré à votre Maison !"

Emily ne croyait pas si bien dire en disant que la terreur de son interlocutrice s'était emparée d'elle. Elle ressentait en effet le mal-être flagrant de la jeune fille. Elle espérait sincèrement que ses paroles la réconforteraient au moins un minimum. Elle pouvait comprendre qu'être convoquée sans explication pouvait être troublant. A vrai dire, elle-même n'aurait pas apprécié se retrouver à la place de la Serdaigle, mais la situation était telle qu'elle n'avait pas eu d'autre choix. De sa main gauche, elle ouvrit un des tiroirs qui se trouvaient à côté d'elle et en sorti les sous-vêtements qu'Autumn était censée, selon ses dires du moins, ramener à Amy.

"Voilà ce pour quoi je vous ai convoquée." annonça-t-elle tout en déposant le petit tas de tissu devant l'élève. "Un préfet a surpris Autumn Rowle, une élève de Serpentard, en train de se promener en pleine nuit avec cela en main. Je suis arrivée au plein milieu de leur échange et Miss Rowle m'a expliqué que Julian Valden, un Serpentard de septième année, lui avait remis ces vêtements en annonçant qu'ils vous appartenaient et qu'il désirait qu'elle vous les ramène. Je ne vais bien évidemment pas vous sanctionner, car je n'ai aucune raison de le faire. Je ne vais pas non plus vous juger et encore moins vous critiquer. J'aimerais juste vous dire que si vous avez besoin de parler à quelqu'un de plus âgé et de plus expérimenté, sachez que je suis là pour vous conseiller si vous le souhai... Miss Marshall, tout va bien ?"

Emily avait, pendant la plupart de ses paroles, fixé le tas de sous-vêtements aguicheurs. Ce n'est que lorsqu'elle avait commencé à prononcer sa dernière phrase qu'elle avait glissé ses yeux sur le visage d'Amy. C'était à cet instant qu'elle vit la mine qu'affichait cette dernière, et celle-ci était telle qu'elle l'avait stoppée en plein milieu de sa phrase. De toute évidence, quelque chose n'allait pas, et Emily était presque sûre que ce n'était pas uniquement la situation. Non... C'était quelque chose d'autre. Attendant d'avoir une réponse de la Serdaigle, la rousse l'observait en silence.

Amy commença par balbutier deux questions qui furent rapidement suivies d'un flot de paroles ininterrompu, mélangeant questionnements et justifications. Sa panique palpable mettait Emily très mal à l'aise. Lorsqu'elle vit que la Serdaigle se mettait à pleurer, sa gorge se serra, à tel point qu'elle eut de la peine à déglutir. Elle n'aimait pas la voir ainsi, et, à vrai dire, elle n'aurait pas aimé voir quiconque ainsi. Il n'y avait aucun doute : elle disait la vérité. Cette élève-là n'avait rien à voir avec la Serpentard que la bibliothécaire avait interrogée au septième étage ; alors que la première semblait être des plus sincères, la seconde avait laissé Emily perplexe... Il faut dire qu'Autumn avait tellement tenté de contourner les questions posées par la rousse que, quand elle avait finalement répondu, l'intéressée avait cessé de vouloir l'entièreté de la vérité, se contenant des informations qui lui avaient été données. Sans hésiter une seconde de plus, Emily se leva de son fauteuil et contourna son bureau. S'accroupissant aux côtés de la blonde, elle posa une main réconfortante sur l'avant-bras de la demoiselle et, de sa douce voix, elle prit la parole :

"Ne pleurez pas, Miss... Je pense que mademoiselle Rowle a menti. J'ignore pour l'instant la raison d'une pareille calomnie, mais je suis bien décidée à faire éclater la vérité au grand jour ! Je ne laisserai pas une élève inventer une rumeur sur l'une de ses camarades. Peut-être que je me trompe, et que Miss Rowle n'est qu'un pion parmi tant d'autres qui s'est retrouvé contre son gré sur l'échiquier qu'est ce mensonge inventé de toute pièce par Julian Valden -et non pas Julien comme vous l'avez dit...-, mais... J'en doute. Quoiqu'il en soit, je tirerai cette histoire au clair, je vous le jure !"

Elle espérait avoir, par ses paroles et sa promesse, réussi à calmer l'élève. Emily détestait plus que tout l'injustice et, de toutes évidences, Amy Marshall était victime de l'une d'entre elles. Les mensonges horripilaient l'ex-Serdaigle, et Autumn lui en avait apparemment servis plusieurs. Si sa théorie s'avérait vrai, alors la Serpentard le regretterait amèrement. Mais avant toute chose, elle se devait d'avoir une petite discussion avec Julian Valden... Si au moins il existait ! Se redressant, Emily retira sa main du bras de l'élève, puis elle la glissa entre les plis de sa robe et sortit d'une poche parfaitement dissimulée un petit paquet de mouchoirs en papier qu'elle tendit à Amy pour qu'elle en prenne un si elle jugeait cela nécessaire. La bibliothécaire se rendait parfaitement compte du choc émotionnel que venait de vivre l'élève. A vrai dire, elle l'avait ressenti au travers de son être. Regardant la Serdaigle, elle hésita un instant avant de reprendre la parole pour lui demander de sa voix chaude, chantonnante et réconfortante :

"Est-ce que ça va mieux... ? Je suis désolée pour... Pour... Pour tout ça."

Amy avait souri en entendant les paroles d'Emily, ce qui rassura grandement cette dernière. Elle n'aimait de loin pas rendre qui que ce soit triste, alors être la cause de larmes l'affectait grandement. Elle avait envie de déverser sa haine envers la Serpentard, celle qui lui avait menti ouvertement, mais, bien trop polie et réfléchie pour succomber à sa colère, elle se retint. Le fait était qu'elle n'avait qu'une forte appréhension, et rien, pour l'instant du moins, n'était encore certain. Il était possible, comme elle l'avait dit à l'élève, que la source du problème soit ailleurs : peut-être était-ce le fameux Serpentard qui avait soit-disant donné les sous-vêtement à Autumn qui, pour une raison ou pour une autre, avait voulu nuire à la réputation d'Amy. Même si Emily doutait que cette version-là de l'histoire soit la bonne, elle se devait de la vérifier avant de faire des conclusions hâtives. La Serdaigle s'était emparée du paquet de mouchoirs que lui tendait la bibliothécaire pour en prendre un et essuyer ses larmes. Alors que la rousse rangeait le paquet, Amy prit la parole de sa voix encore pleine de chagrin :

"Vous n'avez pas à vous excuser de la bêtise des adolescents Miss Atkins, au contraire, vous ne m'avez pas cataloguée sans savoir et pour ça ... je vous remercie beaucoup. Mais je n'arrive pas à comprendre l'intérêt qu'elle puisse avoir à me faire subir une telle rumeur."

Emily accueillit d'un sourire le remerciement de la jeune fille. L'entendant dire qu'elle ne comprenait pas pour quelle raison Autumn aurait voulu s'en prendre à elle de cette manière, la jeune femme haussa ses fines épaules. Elle non plus n'avait pas la moindre idée des motivations de la Serpentard. A vrai dire, elle avait peur de ne pas tout comprendre aux histoires des adolescents. Etait-ce pas jalousie qu'elle avait fait cela ? Ou par vengeance ? Si Amy était réellement surnommée Miss Parfaite par les autres élèves de Poudlard, le fait qu'elle attise la jalousie des autres filles n'aurait pas été plus étonnant que cela. Une certaine perplexité inscrite sur son visage, Emily s'appuya contre son bureau, croisant les bras devant elle. Elle était de toute évidence en train de réfléchir, fixant le mur qui lui faisait face.

"Miss Atkins ? Vous pensez que je peux lui rendre moi-même ses affaires, afin de lui demander pourquoi elle a dit ça ? Ou est-ce que ce serait chercher la bagarre ? Est-ce que ça risquerait de se retourner contre moi ?"

Alors que le flot de questions de la Serdaigle franchissait sa bouche, la rousse avait détaché ses yeux du mur et avait glissé son regard pour le poser sur le visage de son interlocutrice. Encore légèrement absorbée par ses pensées, elle mit un certain temps avant de comprendre le sens des phrases qui venaient d'être prononcées par l'élève. La fixant, elle laissa le silence s'installer. Elle réfléchissait à la meilleure réponse qu'elle pouvait lui donner. Aussi sage qu'un mage d'un certain âge, la rousse ne prenait jamais de décision de ce genre à la légère. Il lui arrivait certes de mettre de côté ses a priori pour permettre à telle ou telle personne que ses impressions premières n'étaient pas justifiées, mais la plupart du temps elle ne pouvait s'empêcher d'analyser les choses sous tous leurs angles. Laisser Amy repartir avec les pièces à conviction, c'était faire aveuglément confiance aux suspicions qu'elle avait envers Autumn et écarter totalement la théorie selon laquelle la genèse de cette histoire n'était autre que Julian. Croisant ses mains dans son dos, Emily prolongea le silence tout en tournant les talons pour aller se rasseoir sur son fauteuil.

"Je ne peux pas vous laisser partir avec ces sous-vêtements, Miss Marshall." annonça-t-elle après avoir croisé ses mains sur son bureau. "En effet, il ne faut pas oublier que plus d'une explication est possible, et que, par conséquent, Monsieur Valden ne doit pas être écarté de l'équation. Je vais donc convoquer ce jeune homme dans mon bureau et le questionner. S'il s'avère que ma théorie première est la bonne, alors j'aurais une sérieuse discussion avec Miss Rowle. Me mentir, c'est s'attirer de sérieux ennuis. Cependant, si vous ressentez le besoin de questionner votre camarade, je ne peux vous retenir... Veillez toutefois à mesurer l'impact de chacune des paroles que vous lui direz : les mots sont des armes qu'il faut savoir manier avec soin..." Laissant un bref silence s'installer, elle le brisa en reprenant la parole : "Vous pouvez compter sur moi pour vous tenir au courant des choses que j'aurais apprises suite aux convocations de vos camarades ! Et si vous pensez qu'il serait nécessaire de prévenir le directeur de ce qui se trame au sein du Château ou encore de mettre en place une rencontre entre vous et Miss Rowle en ma présence, n'hésitez pas à me le faire savoir. Avez-vous d'autres questions, Miss Marshall ?"

L'adolescente semblait s'être calmée, ce qui rassurait en quelques sortes la rousse. Se sentant elle-même un peu plus apaisée, elle fit un magnifique sourire à Amy lorsque celle-ci lui adressa un compliment auquel elle ne s'était pas attendue. Elle avait cru comprendre que bien des élèves étaient satisfaits du travail qu'elle fournissait, mais jamais l'un d'eux ne l'avait complimentée. Malgré qu'elle ait elle-même été élève en ces lieux, elle ignorait tout de la sorcière qu'était l'ancienne bibliothécaire, ce qui était ironique lorsqu'on savait le nombre d'heures qu'Emily avait passé à la bibliothèque lors de sa scolarité à Poudlard. L'élève n'avant de toute évidence pas d'autres questions à lui poser, la jeune femme l'invita à s'en aller. Amy se leva, réajusta sa tenue et tourna les talons. La bibliothécaire la suivait de ses yeux tout en pensant au fait que cette histoire n'était de loin pas terminée. La Serdaigle se retourna une dernière fois pour remercier Emily. Cette dernière, souriant avec tendresse, lui répondit simplement :

"De rien Miss Marshall..."

S'emparant de sa baguette, elle l'agita en direction de la porte du bureau. Celle-ci tourna sur ses gonds et se referma derrière l'élève une fois qu'elle eut quitté la pièce. Ravalant un soupire, Emily s'empara d'un rouleau de parchemin et de sa plume de Jobarbille. Trempant le bec de cette dernière dans un petit pot d'encre, elle commença à rédiger une lettre à l'adresse de Julian Valden. Selon ce que ce dernier lui raconterait, un troisième entretien allait être nécessaire : celui qui lui permettrait de faire avouer la vérité à la Serpentard qu'elle soupçonnait fortement d'être une menteuse. Une fois la convocation terminée, elle se leva de son fauteuil et s'approcha d'une fenêtre qu'elle ouvrit. A l'aide du pouce et de l'indexe de sa main droite, elle siffla assez fort pour que des corbeaux se mettent à croasser au loin. Bien vite, Chilali fit son apparition dans le ciel. Après qu'elle ait accroché la lettre à la patte du volatil, elle l'envoya l'apporter au Serpentard.

Emily était fatiguée. Premièrement parce que son travail à Poudlard la faisait se coucher plus tard que l'heure à laquelle elle était habituée à rejoindre son lit (comme elle aimait le répéter : elle n'était pas un oiseau de nuit), et deuxièmement parce que certaines histoires puériles des adolescents présents dans le château commençaient à la fatiguer émotionnellement. Elle devait d'ailleurs, ce jour-là, régler une histoire dont elle avait décidé de s'occuper sans en avertir immédiatement le directeur. Ce dernier avait bien assez à faire avec les rumeurs qui commençaient à courir au sujet du personnel de Poudlard. Bien évidemment, Emily saurait se retourner vers lui en cas de nécessité, mais pour l'instant, elle pensait encore pouvoir tirer les choses au clair sans avoir à faire part de l'histoire au sorcier.

Il y avait de cela quelques jours, elle avait discuté avec un Serpentard de septième année dont le nom avait été mentionné par Autumn Rowle. Il avait été très clair : il n'avait jamais eu de contact, proches ou lointains, avec Amy Marshall, une Serdaigle de cinquième année. Aussi efficace qu'un sérum de Vérité, Emily savait qu'il ne s'agissait pas d'un mensonge. Maintenant, elle allait s'entretenir avec la source de cette histoire : Miss Rowle, qui avait débité tant de mensonge le soir des faits que la vérité déformée qu'elle avait servi à la bibliothécaire avait semblé bien vraie en comparaison avec le reste de ses paroles. L'heure du rendez-vous fixé par Emily approchait. La rousse, elle, somnolait dans son fauteuil.

"Toc toc toc."

Secouant la tête pour sortir de sa torpeur, la jeune femme se leva et se dirigea vers la porte de son bureau. Sa longue robe noire et légère se soulevait au rythme de ses pas. Ouvrant la porte, elle se retrouva face à Autumn, comme elle s'y attendait. Sans un mot, Emily se décala pour laisser entrer l'élève. Une fois celle-ci à l'intérieur, elle passa à côté d'elle, son visage affichant une lassitude mêlée de fatigue, et elle alla reprendre place à son bureau. D'un geste de la main, et sans un mot, elle invita la Serpentard à s'installer. Une fois celle-ci assise, elle prit une profonde inspiration avant de parler, les mains croisées sur le bureau devant elle.

"Excusez mon manque de politesse, Miss Rowle, mais il faut que vous sachiez que l'histoire que vous avez montée de toute pièce est en train de s'écrouler petit à petit, comme un château de carte soumis à une rafale. Je me suis entretenue avec votre camarade de maison, et celui-ci m'a affirmé qu'il ne connaissait pas la Serdaigle dont vous m'aviez donné le nom. Avant cela, je me suis entretenue avec Miss Marshall, et celle-ci n'avait de toute évidence jamais vu les sous-vêtements que vous disiez être siens. Alors je vous demande, Miss Rowle, non, je vous ordonne, de me dire la vérité sur le champ. Ne pensez pas pouvoir me dire qu'une infime partie de ce qui est vrai, ou pire encore, un mensonge. Je veux l'entière vérité, ni plus ni moins. Plus vous me faites attendre, plus vous tirez cette histoire en longueur, et plus votre punition sera à la hauteur de votre irrespect. Et ne doutez pas de mes paroles lorsque je vous dis que je me battrai bec et serres pour connaître la vérité, peu importe ce qu'il m'en coûte."

Emily avait parlé sans s'arrêter. Sa détermination à faire régner la justice et la vérité se lisait dans ses yeux. Son regard était planté dans celui de la Serpentard : elle n'avait pas cligné des paupières une seule fois. On aurait dit qu'elle parvenait à sonder l'esprit de l'élève, comme une legilimens, mais il n'en était rien ; son regard était tout simplement des plus transperçants. Le ton qu'elle avait employé était sec et autoritaire, mais sa voix n'en était pas moins douce pour autant. Emily restait immobile, respirant lentement. Quelques secondes de silence avaient suivi sa mise en garde. Elle brisa le calme qui s'était installé en incitant Autumn à prendre la parole par ces simples mots :

"Je vous écoute."

Emily resta silencieuse tout au long du discours de la Serpentard. L'entièreté des émotions de la bibliothécaire était lisible dans ses grands yeux ; perplexité, surprise, incompréhension, et même une pointe de fureur envers les parents des deux élèves. Elle était tellement outrée qu'elle ne fit absolument pas le lien entre Jerôme Donell, l'employé du Ministère dont elle avait déjà croisé le chemin, et l'oncle mentionné par Autumn. Après tout, il aurait pu s'agir d'un autre frère... Sa gorge s'asséchant au fil de ce que lui racontait l'élève, Emily ne parvint pas à dire le moindre mot lorsqu'elle eut terminé ses explications. Ouvrant la bouche et la refermant, elle fit ainsi le poisson pendant un certain temps, ne parvenant pas à trouver les mots adéquats. Ce n'est qu'après un long silence qu'elle racla sa gorge avec de dire :

"C'est en effet difficile à croire... J'avais déjà entendu parler de mariages arrangés entre familles de sang-purs, mais on a souvent cette mauvaise manie de ne prendre conscience des choses qu'une fois qu'on se retrouve en face d'elles... J'ai en effet déjà entendu le nom de votre père, mais j'espère ne jamais croiser sa route, ni celle de votre mère ou des parents de Gregory... Je ne saurais en effet pas leur cacher ce que je pense de cette histoire." Elle laissa quelques secondes s'écouler avant de reprendre contenance. "Bref. Maintenant que je connais vos motivations, revenons-en à vos mensonges."

Tout en disant cela, elle avait ouvert le tiroir de son bureau et en avait sorti les sous-vêtements ainsi que le petit message qu'elle avait confisqué le soir où cette mascarade avait commencé. Posant le petit tas de tissu devant Autumn, elle reprit la parole tout en se remettant dans sa position initiale :

"Me mentir revient à tenter de caresser un loup-garou un soir de pleine-lune. J'espère que vous ne referez pas l'erreur de vous aventurer sur ce chemin qu'est le mensonge, Miss Rowle. Je retire cinq points à votre maison, car vous auriez pu me faire part de la vérité lorsque je vous raccompagnais jusqu'à votre salle commune. Je pensais vous en retirer cinq de plus, mais le fait que vous m'ayez raconté la totalité des faits dès votre arrivée dans mon bureau m'a fait changer d'avis. Je garderai pour moi une partie des informations que vous venez de me partager... Oui, une partie seulement, car vous comprendrez bien qu'il m'est nécessaire de mettre au courant Miss Marshall de la vérité ! Je me contenterai de lui écrire une lettre dans laquelle je lui expliquerai qu'une simple histoire de jalousie était à l'origine de l'histoire dont elle n'a été que la victime." Prenant une profonde inspiration, elle poursuivit : "Ne pensez-vous pas, Miss Rowle, qu'il aurait été plus mature et réfléchi d'avoir une discussion avec Monsieur Donell, afin de le mettre en garde des conséquences que pourraient avoir ses sentiments envers Miss Marshall ? Cela aurait évité bien des soucis, n'est-ce pas ?"

Emily ne comprenait pas pour quelle raison Autumn n'avait pas pensé à cette façon de faire. En effet, il lui semblait évident qu'il s'agissait de la meilleure manière d'agir dans pareille situation. Son regard fixe, elle attendait de connaître l'avis de la Serpentard. Qui sait, peut-être qu'elle avait une bonne explication pour justifier son comportement que la rousse qualifierait d'immature... ?

Autumn ne répondit pas immédiatement à ce que lui avait dit Emily. A vrai dire, elle semblait être dans une profonde réflexion que la rousse ne se permit pas d'interrompre. Elle-même était du genre à réfléchir avant de parler, alors elle n'allait clairement pas empêcher son interlocutrice de le faire. Finissant par prendre la parole, non sans lâcher un petit rire au préalable, la Serpentard se lança dans un long monologue durant lequel la bibliothécaire n'ouvrit pas la bouche. Lorsqu'elle eut terminé, Emily ne put s'empêcher de remarquer que le regard de l'élève était très clairement fuyant. Se rendant compte que, sous tous ces mensonges, il y avait une jeune adolescente pleine de doutes, de craintes et de sensibilité, la rousse se sentit presque coupable d'avoir retiré cinq points supplémentaires à la maison des verts et argent. Après tout, il ne fallait pas se contenter des faits pour justifier une sanction : il était, aux yeux de l'Animagus du moins, nécessaire de se pencher sur les motivations de l'élève. Le contexte actuel était tel que...

"Je retire ma sanction." Après avoir inspiré et expiré profondément, elle reprit la parole : "Non pas celle que je vous ai infligée pour vous avoir trouvée hors de votre dortoir après le couvre-feu, mais celle que je viens de vous donner, pour m'avoir menti. Je commence en effet à penser que certains mensonges sont inévitables et nécessaires. Tout comme le Secret Magique nous pousse tous et toutes à mentir un jour ou l'autre, votre Secret Matrimonial, si je peux me permettre de l'appeler ainsi, justifie que vous m'ayez caché la vérité.

Cependant, j'aimerais que vous sachiez qu'à partir de maintenant vous n'avez plus à me cacher quoi que ce soit. Je ne vous demande pas de me faire part de votre vie privée à tout va, mais simplement de ne plus me mentir. Si vous ne désirez pas me parler de quelque chose qui vous concerne, alors contentez-vous de me le faire comprendre. Je préfère cela à un mensonge.

Maintenant que je connais vos raisons, je ne peux que vous faire part de mon désarroi face à la situation dans laquelle vous vous trouvez, vous et Monsieur Donell. Si vous désirez parler à quelqu'un qui saura vous écouter et peut-être même vous conseiller, ma porte vous sera toujours ouverte. D'accord, Miss Rowle ? Hum... Miss Rowle ? Est-ce que tout va bien ? Souhaitez-vous boire quelque chose ? Vous semblez aller mal..."

Emily avait dit cela en remarquant le regard embrumé de son interlocutrice. Une mine inquiète inscrite sur le visage, elle s'était avancée sur son fauteuil, se penchant légèrement en avant, pour tenter de capter le regard d'Autumn. La rousse avait la gorge serrée. Peinant à avaler sa salive, elle s'inquiétait sincèrement. La fatigue n'aidant pas, elle était plus émotive encore qu'en temps normal... Etait-ce vraiment la fatigue ? Peut-être... Peut-être pas. Emily avait envie que la discussion prenne fin, et en même temps, pas du tout. Ces envies opposées en tous points n'étaient pas les deux siennes, mais elle les ressentait à la même intensité : sans distinction aucune. Ses cheveux roux balayant le bureau au-dessus duquel elle était penchée, la bibliothécaire attendait d'avoir une réponse de la Serpentard. Elle pouvait attendre longtemps, s'il le fallait. En effet, Emily était des plus patientes, et si Autumn mettait trente minutes avant de décrocher le moindre mot, alors elle attendrait sans tenter de l'extirper de son mutisme.

Pour n'avoir jamais vécu, de mémoire du moins, une situation où elle était enchaînée d'une manière ou d'une autre à une personne qui ne voulait pas entendre parler d'elle, Emily ne pouvait pas dire qu'elle savait ce que c'était. Cependant, elle avait cette impression étrange de comprendre parfaitement où voulait en venir Autumn. Il ne s'agissait-là pas d'une simple compréhension empathique ou d'une sympathie quelconque face aux difficultés vécues par son interlocutrice ; mais bel et bien d'une véritable compréhension profonde et claire de ce qui était ressenti par la Serpentard. C'était comme si Emily partageait les mêmes expériences que la jeune fille : le même vécu. Ouvrant la bouche pour tenter d'expliquer cela à Autumn, la bibliothécaire la referma bien vite, se rendant compte qu'il était complexe, voire même impossible, qu'elle parvienne à lui faire comprendre cet étrange ressenti. A vrai dire, elle-même ne savait pas comme cela fonctionnait, alors comment pouvait-elle espérer qu'une personne extérieure puisse saisir ? Poussée par une force intérieure, elle expliqua l'entièreté de ce qui venait de lui passer par la tête en deux simples phrases totalement contradictoires pour une personne autre qu'elle-même, mais, à ses yeux, parfaitement claires.

"Non je ne le sais pas." lâcha-t-elle finalement avant d'ajouter : "Et en même temps, je le sais parfaitement."

L'emphase qu'elle avait mis dans le ton de sa voix lorsqu'elle avait employé pour la seconde fois le verbe "savoir" laissait entendre que la signification même de ces deux mots en tous points identique était bien différente. Sa douce voix était des plus rassurantes, et même une personne profondément persuadée qu'elle n'avait rien envie de partager avec Emily aurait craqué face à la mine qu'elle affichait. Une certaine détermination brillait au fond de ses yeux. En effet, elle était déterminée à entendre ce que la Serpentard avait à lui dire. D'ailleurs, toute son attitude laissait comprendre qu'elle était ouverte à la discussion, ou plutôt, prête à écouter. Peu de gens savent écouter ce que les autres ont à dire. Moins de gens encore parviennent à lire entre les lignes, et à réellement recevoir ce qui leur est donné. Emily, elle, était peut-être l'une de ces rares personnes à qui il était possible de confier tout et n'importe quoi en ayant toujours l'impression de ne pas être jugé. La rousse écoutait et, mieux encore, elle comprenait d'une manière qui dépassait bien des conceptions.

Emily écouta attentivement ce que lui disait l'élève, hochant la tête de temps à autres. Les familles de sang pur avaient, à ses yeux du moins, le chic pour se compliquer la vie. Elle-même était de sang pur, mais la famille Atkins était bien loin d'être traditionnelle. Lorsqu'elle mentionna le fait qu'elle désirait avoir des enfants, la rousse ne put s'empêcher d'ouvrir des yeux surpris : elle ne s'attendait pas à une telle révélation. S'apprêtant à dire à Autumn qu'il s'agissait d'un très beau projet de vie, elle ne put prendre la parole car, déjà, l'élève se remit à parler pour dire qu'elle ferait mieux de s'en aller. Toujours respectueuse des volontés des autres, Emily se contenta de dire :

"Si c'est ce que vous désirez réellement, alors je ne vous retiens pas." Elle laissa un court silence s'installer avant de rajouter : "Mais vous savez, Miss Rowle, fuir la confession n'est pas le meilleur moyen d'alléger ce qui pèse sur votre coeur... Vous ne devez sans doute pas avoir beaucoup l'occasion de faire part de ce genre de choses à qui que ce soit, alors pourquoi vous arrêter en si bon chemin ?" Elle prit une profonde inspiration et reprit la parole : "Avant que vous ne vous en alliez, permettez-moi de vous dire que le meilleur moyen d'améliorer votre relation avec monsieur Donell, c'est de communiquer avec lui. Je doute que lui cacher certaines de vos appréhensions, notamment celles concernant ce qui pouvait arriver si les sentiments de votre fiancé venaient à être découvert par votre géniteur, ne soit une bonne chose. Vous n'êtes pas des ennemis, mais au contraire : des alliés. Des alliés qui doivent se battre pour vivre dans la paix. Mais bon, il ne s'agit-là que de mon avis personnel ; vous en ferez ce que vous voulez. Maintenant, je vous laisse partir, non sans vous promettre que ma porte vous sera toujours ouverte ! A moins que... Vous ne désiriez rester un peu plus longtemps... ?"

Pendant toute la durée de son discours, Emily avait gardé ses yeux plantés dans ceux de son interlocutrice. Son regard, tout comme sa voix, était d'une véritable douceur. On pouvait voir, au fond de ses pupilles, qu'elle était prête à écouter Autumn des heures durant, si celle-ci le souhaitait.

HRP:

Emily attendit patiemment qu'Autumn prenne la parole. Elle avait bien remarqué qu'une larme avait roulé le long de sa joue, mais elle n'avait pas réagi. Après tout, si la Serpentard avait besoin d'un mouchoir en papier, il lui suffisait de tendre la main vers la petite boîte en carton qui trônait dans le coin du bureau de la bibliothécaire. De cette boîte dépassait en effet des mouchoirs en papier. C'est alors qu'Autumn avoua qu'elle avait envie que le mariage se fasse, et pas uniquement pour la tradition. Emily en vint à la conclusion qu'elle avait peut-être plus de sentiments pour Gregory qu'elle ne voulait bien l'admettre. Gardant pour elle ses observations, elle se contentait d'hocher la tête de haut en bas en signe de compréhension. Lorsque l'élève se leva pour s'en aller, la rousse ne la retint pas, se contentant de lui dire ces quelques mots avant qu'elle ne passe le pas de la porte :

"Au revoir, Autumn. Revenez quand bon vous semble."

Elle s'était permis de l'appeler par son prénom. Elle ne se permettrait jamais pareil comportement devant d'autres personnes, mais Emily avait jugé nécessaire de s'adresser à la jeune fille en l'appelant par son prénom, lui enlevant de ce fait de ses épaules le poids parfois pesant qu'avait une famille que l'on avait pas choisie. Après cela, Autumn disparut. L'ex-Serdaigle, quant à elle, resta assise derrière son bureau, se contentant de pousser un soupire et de pincer entre deux de ses doigts l'arrête de son nez, penchant la tête en avant. Elle resta ainsi pendant une durée de temps qu'elle n'aurait sans doute pas su quantifier. Après cela, elle s'empara des sous-vêtements qu'Autumn n'avait pas emportés avec elle et elle les rangea dans le tiroir de son bureau. Reprenant ensuite le cours de sa journée, Emily ne pouvait s'empêcher de repenser de temps à autre à cette aberration qu'était, à ses yeux, les mariages arrangés.